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AMITIE

3 jeunes, noir, blanc, jaune

L’amitié a suscité de multiples réflexions chez les philosophes de l’Antiquité qui se sont efforcés d’en repérer les caractéristiques et les limites. Par exemple, Aristote a fortement insisté sur les notions de réciprocité des actes et d’égalité morale entre amis. Montaigne fut ensuite un précurseur car il n’a pas théorisé sur l’amitié, mais a simplement témoigné de son expérience personnelle avec Etienne de La Boétie. On connaît sa célèbre déclaration : « Dans l’amitié dont je parle, elles [nos âmes] s’unissent et se fondent l’une en l’autre dans une union si totale qu’elles effacent la couture qui les a jointes et ne la retrouvent plus. Si l’on me demande avec insistance de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut s’exprimer, qu’en répondant : "Parce que c’était lui, parce que c’était moi". » (1) Cette nouvelle conception de l’amitié, reposant essentiellement sur une expérience émotionnelle partagée, s’est progressivement diffusée dans l’ensemble de la société.

L’enquête Valeurs des Français 1999 montre qu’après la famille et le travail, les amis et relations sont un des domaines auxquels les Français attachent le plus d’importance : la moitié d’entre eux déclare qu’il s’agit d’une chose très importante dans leur vie (contre 88 % pour la famille et 60 % pour le travail), alors qu’ils n’étaient que 40 % dans ce cas en 1990 (2).

AMITIES FEMININES, AMITIES MASCULINES

Confidences de deux jeunes femmes

Les chercheurs ont confirmé ce que le sens commun perçoit intuitivement : hommes et femmes n’ont généralement pas le même type d’amitié. L’amitié des femmes repose surtout sur l’échange de confidences et sur le soutien émotionnel. C’est en quelque sorte une amitié face à face. En revanche, l’amitié des hommes est surtout basée sur des activités en commun. Beaucoup d’hommes n’ont aucun ami intime, mais de nombreuses relations superficielles au travail ou dans leurs activités de loisirs. C’est une amitié côte à côte. D’ailleurs, lorsqu’un homme se révèle émotionnellement, c’est généralement avec une femme. Il y a des avantages et des inconvénients dans chacune de ces attitudes. Ainsi, l’orientation des femmes vers l’intimité émotionnelle leur permet de bénéficier d’un meilleur soutien social que les hommes. Par exemple, une étude a montré que des femmes divorcées comptent plus sur leurs amies pour recevoir de l’aide que les hommes divorcés sur leurs amis. Mais inversement, cela peut générer plus de souffrance en raison de la plus grande sensibilité aux difficultés d’autrui. La situation des hommes est inverse.

TROIS COMPOSANTES DE L’AMITIE

Jean Maisonneuve et Lubomir Lamy ont mené une enquête (3) auprès de 300 personnes, en leur posant deux questions : « Qu’est-ce qu’un ami ? Quel est (ou quels sont) à votre avis le (les) signe(s) d’une véritable amitié ? ». L’analyse des réponses a mis en évidence trois caractéristiques fondamentales de l’amitié : la communication (43 % des réponses), l’entraide (22 %) et la constance ou fidélité (35 %). Ces facettes peuvent cependant se recouper partiellement comme nous le verrons ci-dessous ; par exemple, recevoir les confidences d’un-e ami-e en détresse et l’accompagner dans cette période douloureuse relève à la fois de la communication et de l’entraide.

Les amis et les amoureux se choisissent essentiellement parce qu’ils ont des idées proches, qu’ils appartiennent au même milieu socioprofessionnel, qu’ils ont le même niveau d’études, etc. On appelle cela l’homogamie (professionnelle, économique, géographique, culturelle, etc.). Par exemple, le pourcentage global d’homogamie professionnelle entre amis est d’environ 50 % (4). Les femmes sont cependant plus ouvertes à la diversité que les hommes puisque l’homogamie professionnelle est d’un tiers. Un sondage Ifop pour L’Express en 2000 fournissait des pourcentages impressionnants à une série de questions (5) :
-  100 % estiment que l’amitié nécessite d’avoir des valeurs communes
-  93 % estiment que l’amitié nécessite d’avoir le même niveau de revenu
-  92 % estiment que l’amitié nécessite d’avoir la même situation familiale
-  91 % estiment que l’amitié nécessite d’avoir le même âge
-  90 % estiment que l’amitié nécessite d’être du même sexe
-  18 % estiment que l’amitié nécessite de s’être connus très jeunes.

Pour l’écrivain Tahar Ben Jelloun : « L’amitié est (…) un état apaisant. Un lien nécessaire et rare. Il ne souffre aucune impureté. L’autre, en face, l’être qu’on aime, est non seulement un miroir qui réfléchit, c’est aussi l’autre soi-même rêvé. » (6)

Comme le dit le dicton, c’est souvent dans les épreuves qu’on reconnaît les vrais amis. L’ami-e est là quand il faut, sans présence excessive, sait écouter les silences autant que les paroles, est attentif-ve aux soupirs autant qu’aux sourires. Cependant, l’attitude à adopter dans ce genre de situation n’est pas évidente. Que dire, que faire, par exemple, face un ami qui vient de perdre son épouse ? Se manifester, chercher à consoler l’autre, au risque de l’enfermer dans son malheur ? Etre discret pour ne pas lui imposer la vision du bonheur en famille que l’on vit soi-même ? La « bonne » solution à adopter n’est habituellement pas simple.

QUAND L’AMITIE SE BRISE... ET SE RECONSTRUIT

Dans le sondage Ifop pour L’Express déjà cité, les enquêteurs ont posé la question suivante : Parmi les éléments suivants, quels sont ceux qui peuvent être un frein à vos amitiés :
-  l’éloignement géographique : 49 %
-  le manque de temps : 42 %
-  des désaccords sur la façon de vivre : 24 %
-  la vie de couple : 21 %
-  ne se prononcent pas : 4 %. Dans l’enquête menée par Maisonneuve et Lamy, les deux raisons les plus souvent évoquées sont les déménagements (45 % des cas de rupture) et les changements survenus dans la vie privée, notamment le mariage (22 % des cas). Ces auteurs préfèrent alors parler de séparations plutôt que de ruptures. Les autres motifs sont beaucoup moins cités par les personnes interrogées. La « brouille » n’est mise en avant que dans 7 % des cas et l’évolution idéologique dans 4 %. Il faut cependant rester prudent face à de tels chiffres. Correspondent-ils strictement à la réalité ou reflètent-ils plutôt la difficulté des personnes à reconnaître ou à se souvenir de ruptures douloureuses ? Il arrive cependant que des personnes renouent un lien d’amitié après des mois, voire des années de prise de distance, parfois orageuse. Le niveau de solidité de cette nouvelle union est variable, selon que chacun est attentif ou non à aborder avec tact les zones délicates de l’autre.

-  (1) Michel de Montaigne (1989). Essais 1.28, Paris, Librairie - Honoré Champion, p.205.
-  (2) Olivier Galland (2003). Les Français entre eux : des - relations électives et sélectives, in P. Bréchon (dir.) Les - valeurs des Français, Paris, Armand Colin, 38-62.
-  (3) Maisonneuve J. et Lamy L. (1993). Psycho-sociologie de - l’amitié, Paris, Puf, p. 42-43.
-  (4) Idem, p. 121.
-  (5) Dossier dans L’Express, La merveilleuse alchimie de - l’amitié, 20-26 avril 2000.
-  (6) Ben Jelloun T. (2003). Eloge de l’amitié, ombre de la - trahison, Paris, Seuil, p. 9.

par Jacques Lecomte

Vous trouverez une description plus détaillée de ce thème dans le chapitre Aimer d’amitié ; dans Jacques Lecomte, Donner un sens à sa vie, Paris, Odile Jacob, 2007.

Ce document peut être repris, partiellement ou intégralement, à condition d’en indiquer la source :
© Jacques Lecomte - http://www.psychologie-positive.net

Crédit photos : © Franz Pfluegl - Fotolia.com / © Galina Barskaya - Fotolia.com / © LUNAMARINA - Fotolia.com