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RESILIENCE

La résilience est un processus dynamique qui permet à une personne ou à un groupe ayant subi un traumatisme de se reconstruire et de mener une vie qui lui soit satisfaisante. Elle peut s’exprimer sous des formes très variables. Stefan Vanistendael a, le premier, mis en évidence que deux éléments essentiels constituent le fondement de la résilience : le lien (processus interpersonnel) et le sens (processus intrapersonnel) (1). Par la suite, Jacques Lecomte a montré que pour les enfants et les jeunes en souffrance, un troisième élément jouait également un rôle majeur : la loi symbolique (2) (il est important que l’enfant dispose d’un cadre structurant, de règles claires pour grandir). Voici donc, successivement présentés ces trois éléments :
-  le lien
-  le sens
-  la loi symbolique

TISSER DES LIENS

De nombreuses recherches montrent que des relations humaines chaleureuses constituent une source essentielle de résilience, quel que soit le type de traumatisme. Par exemple, Lackey et Williams ont étudié le parcours de 287 hommes ayant connu la violence dans leur famille d’origine et constaté que l’attachement des hommes à leur partenaire et/ou à des amis et proches augmente la probabilité de la non-violence, l’attachement à la partenaire ayant l’effet le plus important (3).


De même, Rutter et ses collaborateurs. ont mené une série de recherches destinées à comprendre l’enchaînement d’événements permettant à de jeunes femmes ayant vécu en institution dans leur jeunesse d’avoir un comportement parental adéquat (4). Le rôle joué par le conjoint était le facteur le plus important pour limiter les risques liés à une enfance difficile. Les femmes élevées en institution et ayant un conjoint affectueux manifestaient un comportement social et parental d’aussi bonne qualité que celles d’un groupe de comparaison (femmes du même âge et de la même zone géographique n’ayant jamais été suivies par les services d’aide à l’enfance). Par contre, cette bonne parentalité était absente chez les femmes vivant avec un compagnon présentant d’importants problèmes (trouble psychiatrique, criminalité, alcoolisme ou toxicomanie). Au final, le vécu adulte de ces femmes dépendait bien plus de leur situation maritale actuelle que du fait qu’elles avaient grandi dans une institution.

CREER DU SENS
Les événements traumatisants entraînent fréquemment des crises existentielles qui font émerger des interrogations sur le sens de la vie, de la souffrance et de la justice dans le monde. Lorsque le drame atteint personnellement quelqu’un ou l’un de nos proches, se pose la question : « Pourquoi cela arrive-t-il ? », et surtout « Pourquoi moi ? »
De nombreuses études ont en effet mis en évidence la fréquence de la question Pourquoi ?, quel que soit le traumatisme. Est-il bénéfique de se focaliser sur cette question ? Les connaissances actuelles à ce sujet sont encore incertaines. Certaines études montrent que les personnes qui se posent la question vont mieux que celles qui ne se la posent pas, d’autres le résultat inverse. La pire situation est celle où la personne rumine longtemps cette question sans jamais trouver de réponse.
Par exemple, une équipe de psychologues de l’université de Waterloo, dans l’Ontario, ont mené une recherche auprès de femmes adultes qui avaient été victimes d’un père incestueux dans l’enfance et l’adolescence (5). Une grande majorité d’entre elles se posaient toujours des questions comme : « Pourquoi est-ce arrivé ? » Les personnes qui n’avaient pas réussi à trouver de réponses à leurs questions ressentaient très douloureusement cette situation. L’une de ces femmes a notamment déclaré : « Je me demande toujours pourquoi, encore et encore, mais il n’y a pas de réponse. Je ne peux pas trouver de sens à cela, tout comme je ne pourrais en trouver à une tornade. Ces événements arrivent, ils dévastent tout, puis ils repartent. Est-ce qu’ils servent un projet utile ? Non. Il n’y a aucun sens à en tirer. Cela ne devrait pas m’être arrivé, ni à aucun enfant. »

La résilience se manifeste lorsque la personne passe de la focalisation sur le passé au regard tourné vers l’avenir. Ainsi, le rabbin Kushner, qui a perdu son fils jeune déclare : « Notre question "Pourquoi devons-nous ressentir de la douleur ?" devient "Que faisons-nous avec notre douleur pour qu’elle soit significative et pas seulement une souffrance gratuite, vide de sens ?" Comment faire en sorte que les expériences pénibles de notre vie nous transforment ou nous grandissent ? » (6).
Notons, à ce propos, une évolution intéressante des recherches sur le traumatisme. Les psychologues ont décrit en détail l’impact négatif des drames de l’existence, ce qu’ils appellent le stress post-traumatique (cauchemars, angoisses, etc.). Mais depuis quelques années, se développe parallèlement des recherches sur la croissance post-traumatique (7). Ce n’est pas l’événement en soi qui conduit à la croissance, mais la lutte de l’individu avec cette nouvelle réalité à laquelle il est confronté. La croissance post-traumatique n’élimine pas le mal-être, mais se juxtapose à lui. La personne tire des bénéfices de son expérience, mais ne nie pas ses difficultés. La croissance post-traumatique a été constatée dans des situations très diverses : deuil, maladies graves, handicap, accident de la route, incendie de maison, agression sexuelle, guerre, le fait d’être réfugié, kidnapping.
Cinq domaines de croissance post-traumatique ont été repérés :
- plus grande appréciation de la vie et changement de priorités dans l’existence
- relations plus chaleureuses et plus intimes avec les autres
- sentiment plus grand de force personnelle
- reconnaissance de nouvelles possibilités ou de voies dans la vie de la personne
- changement spirituel.

FOURNIR DES REPERES
Nombreux sont les enfants maltraités qui souffrent de vivre dans un monde sans repères. Par exemple, Samira Bellil, qui a grandi dans une famille sans amour et qui a subi trois viols collectifs, témoigne : « Je souffre déjà de me construire sans repère, sans soutien, sans pouvoir le moins du monde discuter de mes efforts. Il me faut beaucoup de temps pour comprendre que je n’obtiendrai aucune aide de la part de mes parents et je me sens dans une grande solitude morale » (8).


Le besoin d’un cadre structurant est essentiel pour la reconstruction des jeunes en souffrance, mais il ne fait que refléter une nécessité éducative concernant tous les enfants. Car l’idéal pour enfant est de grandir auprès de parents affectueux mais qui instaurent des règles et les font respecter. Ce qui nous montre qu’en fin de compte, les principes qui fondent la résilience n’ont rien d’extraordinaire, ce sont tout simplement ceux qui permettent à un enfant vivant dans un foyer « normal » d’être heureux.
Les connaissances que nous avons acquises sur la résilience des jeunes rejoignent ainsi celles sur le développement harmonieux des enfants de la population générale. Des recherches ont d’ailleurs mis clairement cela en évidence. Dès la fin des années 60, Diana Baumrind établissait une typologie des styles d’éducation, essentiellement à partir de deux attitudes : la chaleur et le contrôle, ce qui l’a conduite à distinguer trois styles d’éducation : autoritaire, permissif et « autoritatif » (celui-ci croit que les enfants et les adultes ont des droits et des devoirs réciproques ; il tient compte des désirs de l’enfant, mais explique aussi pourquoi des règles sont nécessaires et des sanctions doivent parfois être prises).
Les enfants de ces trois catégories de parents ont tendance à percevoir le monde différemment les uns des autres.
L’enfant de parents autoritaires est anxieux et en retrait. Il réussit bien à l’école et respecte les règles sociales, mais a tendance à considérer le monde adulte comme un lieu hostile et injuste sur lequel il n’a aucun contrôle.
L’enfant de parents permissifs apprend très tôt qu’il sera récompensé, quoi qu’il fasse. Il n’intègre pas les concepts de bien et de mal, se rebelle lorsque ses désirs sont contestés et manifeste peu de persévérance dans les tâches difficiles.
L’enfant de parents autoritatifs fait généralement preuve d’une humeur heureuse et vivante. Il a confiance en son aptitude à réaliser les tâches qu’il entreprend, en arrive à considérer ses actions comme la cause des bonnes et des mauvaises choses qui lui arrivent. Il pense de façon indépendante et peut prendre ses propres décisions.

(1) S. Vanistendael et J. Lecomte, Le bonheur est toujours possible, construire la résilience, Bayard, 2000.

(2) J. Lecomte, Guérir de son enfance, Odile Jacob, 2004.

(3) Lackey C. & Williams K. R. (1995), Social bonding and the cessation of partner violence across generations, Journal of marriage and the family, 57, 295-305.

(4) Rutter M. & Quinton D. (1984), Long-term follow-up of women institutionalized in childhood : factors promoting good functioning in adult life, British journal of developmental psychology, 2, 191-204.

(5) Silver R. L., Boon C. et Stones M. H., Searching for meaning in misfortune : making sense of incest, Journal of social issues, 1983, vol. 39 (2), p. 81-102.

(6) Kushner H. S. (1985). Pourquoi le malheur frappe ceux qui ne le méritent pas, Paris / Montréal, Sand, p. 82.

(7) Tedeschi, R. G., & Calhoun, L. G. (2004). Posttraumatic growth : Conceptual foundations and empirical evidence. Psychological inquiry, 15, 1-18.

(8) Bellil S. (2003), Dans l’enfer des tournantes, Paris, Folio, p. 270.

(9) Baumrind D. (1968), Authoritarian vs. authoritative parental control. Adolescence, 3(11), 255-272.

Par Jacques Lecomte

Ce document peut être repris, partiellement ou intégralement, à condition d’en indiquer la source :
© Jacques Lecomte - http://www.psychologie-positive.net

Cette page constitue une version raccourcie du livre : J. Lecomte, Guérir de son enfance, Odile Jacob, 2004.

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