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ENSEIGNEMENT

Les conceptions humanistes de l’éducation sont déjà anciennes. Des éducateurs tels que Comenius, Pestalozzi, Jean Bosco ou, plus près de nous, les représentants de l’Ecole nouvelle ont incarné ce regard positif porté sur les jeunes et ont souligné l’importance d’attitudes telles que l’empathie, la coopération, l’entraide, etc. Selon eux, l’école n’est pas seulement un lieu d’apprentissage intellectuel mais aussi d’apprentissage de la vie en société.

Plus récemment, un ouvrage collectif réunissant 25 auteurs a ranimé cette flamme, arguant du fait qu’il était nécessaire de changer radicalement de cap pour que puisse se développer une véritable « éducation humanisante » (1). Dans son introduction, Armen Tarpinian estime indispensable de « s’interroger sur la capacité de l’école à transmettre des valeurs créatrices de plus d’humanité : de lucidité, d’autonomie, d’autoresponsabilité, d’aptitude à se lier à autrui sans sentiment d’infériorité ou de supériorité, dans une juste estimation des différences et des complémentarités. »

Or les recherches contemporaines montrent que ces deux objectifs sont parfaitement conciliables. Plus encore, l’apprentissage des compétences psychosociales (coopération, empathie, etc.) facilite l’apprentissage intellectuel. Voici quelques résultats mettant en évidence l’intérêt d’une « éducation positive ».

L’APPRENTISSAGE COOPERATIF

L’apprentissage coopératif est une stratégie d’enseignement consistant à faire travailler des élèves ensemble au sein de petits groupes. Selon David et Roger Johnson, deux des meilleurs spécialistes du sujet, l’apprentissage coopératif se caractérise notamment par le fait que les efforts de chaque membre sont nécessaires pour le succès du groupe et que chacun doit donc apporter sa juste contribution ; les membres s’encouragent et s’aident réciproquement à apprendre, louent les succès et les efforts des uns et des autres (2).

Une méta-analyse (synthèse statistique d’études antérieures) rassemblant 164 recherches a constaté les meilleurs résultats obtenus par l’apprentissage coopératif que par l’apprentissage traditionnel sur différents aspects de la vie en classe (3) : augmentation de l’estime de soi, amélioration de la motivation à apprendre, de la complexité du raisonnement et des résultats scolaires, meilleur transfert de ce qui est appris depuis une situation vers une autre, augmentation de l’appréciation réciproque, baisse du racisme et du sexisme, de la délinquance, du harcèlement et de la toxicomanie, Les élèves apprécient également plus l’enseignant et le perçoivent comme plus compréhensif et aidant.

LE TUTORAT PAR LES PAIRS

Une autre forme d’apprentissage fondée sur la solidarité entre élèves est le tutorat par les pairs, que l’on peut définir comme l’enseignement d’un élève par un autre. Le principe est simple : des élèves en difficulté passent quelques heures par semaine, généralement pendant les heures de cours, avec un autre élève plus âgé qui leur donne un cours particulier, tout ceci sous la supervision d’un enseignant qui aide le tuteur à préparer les séances et qui l’encourage dans son action.

Une méta-analyse rassemblant 65 études a conclu que les programmes de tutorat par les pairs ont des effets positifs nets sur la réussite scolaire et sur les attitudes des tutorés (4). Ceux-ci ont obtenu des résultats supérieurs à d’autres élèves n’ayant pas bénéficié de ce type de programme.

Une autre synthèse, regroupant 22 études (5), concernant le tutorat auprès d’élèves en difficulté, aboutit au bilan suivant :
- 13 études pour lesquelles tous les résultats étaient positifs
- 8 études pour lesquelles la plupart des résultats étaient positifs
- 1 étude pour laquelle il n’y avait pas de différence entre les classes ayant bénéficié d’un programme de tutorat et celles n’en ayant pas bénéficié.

LA PHILOSOPHIE AVEC LES ENFANTS

L’expression « philosophie avec les enfants », initiée par Matthew Lipman (6), se présente très différemment d’un cours de philosophie au lycée. Tout d’abord, elle est à la portée de tous, même si elle a pour fondements de solides bases issues de la tradition philosophique classique. Au contraire, plusieurs expériences de philosophie avec les enfants ont lieu dans des quartiers très défavorisés. Par ailleurs, le but n’est pas que les enfants étudient et apprennent la philosophie, mais qu’ils en fassent eux-mêmes ! Le programme vise donc à les amener à penser par et pour eux-mêmes, avec notamment comme conséquence le développement de l’autonomie et du sens des responsabilités.

Une synthèse de dix études avec groupe contrôle a montré que toutes ces études présentaient des résultats positifs (7). Les évaluations portaient sur le raisonnement logique, la lecture, les mathématiques, l’estime de soi, l’aptitude à l’apprentissage, le langage, la pensée créative, les compétences cognitives, l’intelligence émotionnelle. Aucun résultat négatif n’a été constaté. Face à ces résultats, les auteurs se demandent pourquoi la philosophie avec les enfants n’est plus largement intégrée dans les pratiques scolaires. Une réponse est que la barrière la plus forte est constituée par les croyances pédagogiques dans l’enseignement traditionnel.

L’EMPATHIE DES ENSEIGNANTS

Carl Rogers, l’un des grands noms de la psychologie humaniste, a beaucoup insisté sur la nécessité que l’enseignant établisse une relation de personne à personne avec l’élève (8). Selon lui, si l’enseignement se résume à transmettre des connaissances ou une technique, il est plus efficace d’utiliser un livre ou un enseignement programmé. Aussi, affirme-t-il, le rôle de l’enseignant est surtout de faciliter le développement des capacités d’apprentissage autodéterminé du sujet, et pour cela trois principales qualités d’attitude sont nécessaires : l’authenticité, la considération pour l’élève et l’empathie à son égard.

David Aspy et Flora Roebuck ont constaté que les enseignants qui manifestent le plus ces trois qualités humaines permettent à leurs élèves de progresser sensiblement au cours d’une année scolaire (9). Mais ils sont allés plus loin, en mettant au point un programme destiné à améliorer le niveau des enseignants sur ces trois qualités. Ceci a notamment abouti aux résultats suivants au sein d’une école située dans un environnement socio-économique très faible. Après la formation, il n’y avait pratiquement pas de changement de comportement chez les enseignants n’ayant pas suivi le programme, tandis que ceux ayant suivi le programme présentaient une sensible augmentation du nombre et de la qualité des relations, avec les effets suivants :
-  cette école a gagné neuf rangs dans l’échelle de compétence en lecture des élèves de la commission scolaire locale (l’école dessert le plus grand nombre d’élèves défavorisés dans cette zone scolaire) ;
-  en moyenne, les élèves de 7 à 10 ans de cette école ont fait plus de progrès en mathématiques que tous les élèves de la zone scolaire ;
-  l’école avait le taux d’absentéisme le plus bas de son histoire (8,8 %) en quarante-cinq ans d’existence ;
-  le nombre de bagarres entre élèves a diminué de façon significative ;
-  le vandalisme a diminué de façon significative (ce problème auparavant sérieux n’en était plus un) ;
-  le pourcentage de démission chez les enseignants est passé de 80 % à 0 % ;
-  des enseignants d’autres écoles ont commencé à demander à être mutés dans cette école.

Les auteurs en concluent donc que le meilleur moyen pour les enseignants d’aider vraiment leurs élèves à apprendre et à mieux respecter la discipline consiste à suivre un programme de formation qui leur enseigne systématiquement à employer des modes d’interaction et de communication efficaces.

(1) Tarpinian A., Baranski L., Hervé G. & Mattéi B. (dir.). Ecole  : changer de cap, Contributions à une éducation humanisante, Lyon Chronique sociale – Paris, Interactions TP-TS.

(2) Johnson D. W. & Johnson R. T. (1990). Learning together and alone : Cooperative, competitive, and individualistic learning, Boston, Allyn & Bacon.

(3) Johnson, D.W., R.T. Johnson, and M.B. Stanne. 2000. Cooperative Learning Methods : A Meta-Analysis. http://www.clcrc.com/pages/cl-metho....

(4) Cohen, P. A. Kulik, J. A. & Kulik, C. C. (1982). Educational Outcomes of Tutoring : A Meta-Analysis of Findings. American Educational Research Journal, 19 (2) : 237-248.

(5) Barley, Z., Lauer, P. A., Arens, S. A., Apthorp, H. S., Englert, K. S., Snow, D., & Akiba, M. (2002). Helping at-risk students meet standards : A synthesis of evidence-based classroom practices. Aurora, CO : Mid-continent Research for Education and Learning.

(6) Lipman M. (1995). A l’école de la pensée, Bruxelles, De Boeck Université.

(7) Trickey S. & Topping K. J. (2004). ‘Philosophy for children’ : a systematic review, Research Papers in Education, 19 (3), 365-380.

(8) Rogers C. (1984). Liberté pour apprendre ?, Dunod, Paris.

(9) Aspy D. & Roebuck F. (1990). On n’apprend pas d’un prof qu’on n’aime pas, Résultats de recherches sur l’éducation humaniste, Montréal, Actualisation.

Par Jacques Lecomte

Ce document peut être repris, partiellement ou intégralement, à condition d’en indiquer la source :
© Jacques Lecomte - http://www.psychologie-positive.net

Voir aussi la Lettre du collectif Ecole, changer de cap : Donner toute sa chance à l’école ; 10 transformations possibles