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DESISTANCE (sortie de la délinquance et de la criminalité)

La désistance désigne l’arrêt d’un parcours de délinquance ou de criminalité. De fait, l’un des constats les mieux établis en criminologie est que la plupart des délinquants sortent finalement de ce parcours déviant. Avec l’âge, la grande majorité des jeunes hommes découvre d’autres sources de satisfaction : un travail, une petite amie (qui devient parfois leur épouse), voire la naissance d’un enfant et l’achat d’un logement.

Nombre moyen de délits (en ordonnées) en fonction de l’âge (sur un total de 9548 délits) (1).

IL N’Y A PAS DE DETERMINISME ABSOLU

L’une des plus importantes recherches sur la désistance a été réalisée par John Laub et Robert Sampson, respectivement criminologue et sociologue (2). En 1986, ils découvrent par hasard, dans la cave de la Harvard Law School, les soixante cartons d’archives poussiéreuses d’une étude classique sur la délinquance juvénile, menée à partir des années 1940 par Sheldon et Eleanor Glueck (3). Cette étude concernait cinq cents jeunes délinquants de 10 à 17 ans et cinq cents non délinquants aux caractéristiques identiques en ce qui concerne l’âge, le groupe ethnique, le QI et le milieu familial (à faible revenu). Des données très riches avaient alors été recueillies sur ces mille garçons à trois moments : à 14 ans, 25 ans et 32 ans. Sampson et Laub vont reprendre ces données et en tirer de multiples constats, en particulier sur la désistance (sortie de la délinquance et de la criminalité).
Selon ces auteurs, il y a certes une relation statistique entre la délinquance juvénile et la criminalité adulte, mais elle est indirecte. La délinquance juvénile conduit généralement à de faibles liens sociaux à l’âge adulte, ce qui conduit à son tour à la criminalité. Ceci a pour corollaire que si l’adolescent ou le jeune adulte fait des rencontres significatives positives, il peut radicalement modifier sa trajectoire.
Deux événements majeurs sont susceptibles de provoquer ce changement : d’une part la rencontre amoureuse et l’installation dans une vie de famille, d’autre part la stabilité dans un emploi. Toutefois, ce ne sont pas ces facteurs en soi, mais plutôt les « à-côtés » qui jouent un rôle ; pour le couple, c’est la qualité de la relation ; pour l’emploi, c’est la stabilité au travail, l’implication ainsi que les liens tissés avec les collègues de travail.
Sampson et Laub constatent que plus les liens adultes au travail et à la famille sont forts, moins il y a de délinquance et de criminalité. Inversement, une incarcération prolongée réduit la probabilité ultérieure de trouver un travail stable, ce qui à son tour augmente le risque de délinquance.

Par la suite, Sampson et Laub se sont efforcés de retrouver les sujets de cette enquête, ce qui leur a permis d’étudier des parcours de vie sur une durée d’environ cinquante ans, et qui fait de leur enquête la plus longue étude criminologique longitudinale à l’heure actuelle. Ils en ont tiré un ouvrage au titre significatif : Démarrages identiques, existences divergentes (4). Ils retrouvent évidemment les éléments déjà notés précédemment, mais également d’autres, tels que le fait bénéfique que le jeune soit « coupé » de son environnement délinquant, ce qui est notamment favorisé par le service militaire et par certains emplois. Enfin, il y a la volonté personnelle. Ainsi, beaucoup d’hommes, écrivent-ils, se sont engagés dans une « action transformatrice » tournée vers l’avenir.
Une conclusion majeure est que « La notion de groupe de délinquants à vie n’est pas pertinente » car « le vécu enfantin ne prédit en rien le parcours ultérieur en tant qu’adulte. ». Ainsi, selon cette recherche, et selon de multiples autres enquêtes sur la désistance, bien qu’une jeunesse délinquante constitue un facteur de risque pour la vie future, n’entraîne pas pour autant un déterminisme inéluctable.

TROIS FACETTES ESSENTIELLES

De son côté, Shad Maruna, maître assistant à l’Ecole de justice criminelle de l’Université d’état de New York, a comparé les caractéristiques psychologiques de trente « désistants » et de vingt délinquants persistant dans leur activité, ayant les mêmes conditions de vie. La plupart de ces jeunes ont grandi à Liverpool, ville réputée pour son fort taux de chômage et sa pauvreté. Les conditions de vie de la famille ont joué un rôle important pour l’entrée en délinquance puisque 80 % des personnes des deux groupes avaient grandi dans un quartier dangereux et un pourcentage à peu près équivalent avaient des parents chômeurs ou ouvriers non qualifiés. Plus d’un tiers d’entre eux avaient été maltraités ou gravement négligés dans leur enfance. Un quart avaient été placés dans des foyers d’accueil en raison de la violence familiale. Leur première arrestation a eu lieu en moyenne à 14-15 ans.

Maruna repère trois éléments essentiels de la désistance :
-  la croyance en un « soi fondamental » bon
-  le sentiment de maîtrise sur sa destinée
-  le désir d’être utile, en particulier auprès des jeunes.

La croyance en un « soi fondamental » bon
Les désistants ne disent pas qu’ils découvrent une nouvelle personnalité, mais plutôt qu’ils reviennent à leur personnalité la plus profonde et la plus authentique en eux. Il ne s’agit donc pas pour ces personnes d’être resocialisées ou guéries, mais plutôt de libérer le « vrai moi » des contraintes extérieures, de « trouver le diamant caché au fond d’elles-mêmes.
En voici deux exemples :
Un homme de 36 ans précise : « Je sens maintenant que je peux réussir ce que j’ai toujours voulu faire, vous savez, c’est-à-dire d’avoir un diplôme et de trouver un emploi pour pouvoir aider d’autres personnes. »
Un autre homme, âgé de 30 ans, déclare : « Je suis ce que je suis maintenant, j’ai toujours été comme ça à l’intérieur. J’ai toujours été intelligent, honnête, travailleur, digne de confiance, gentil, vous savez, affectueux. J’ai toujours été comme ça. Mais c’était toujours recouvert par une telle merde que ça ne pouvait pas sortir. »

le sentiment de maîtrise sur sa destinée
Au début de son évolution, le sujet ne croit pas en elle-même, mais quelqu’un d’autre (souvent un-e partenaire ou une organisation sociale) croit en lui et lui fait comprendre qu’il a de la valeur. Ainsi, un homme de 28 ans déclare : « Avant que j’aille à l’université, ma copine m’a dit qu’elle savait que j’avais des possibilités ; personne ne m’avait dit cela avant, que je pouvais faire quelque chose de ma vie. »

Les persistants déclarent également qu’ils en ont assez d’être délinquants et d’aller en prison, et expriment leur désir de changer de vie. En revanche, ils s’estiment impuissants à changer de comportement, pour diverses raisons : leur dépendance à la drogue, leur pauvreté, l’absence d’études et de diplômes, les préjugés à leur égard. Ils souhaitent abandonner la délinquance, mais pensent ne pas pouvoir y arriver.
Par ailleurs, ils n’ont pas une vision claire de leur futur et beaucoup considèrent que leur scénario de vie a été écrit des années auparavant, tandis que les désistants ont un plan et pensaient qu’ils pourraient le mettre en œuvre. Ils éprouvent des regrets pour les erreurs passées et choisissent de prendre des responsabilités pour le présent et l’avenir.
Plusieurs désistants disent tirer un enseignement positif de leur période noire. « Si ça n’était pas arrivé (la délinquance, la prison), je n’aurais jamais compris qu’il y a des choses plus importantes que l’argent dans la vie ».

le désir d’être utile, en particulier auprès des jeunes.
Selon Maruna, pour maintenir leur nouveau choix de vie, les désistants ont besoin de donner un sens à leur vie. Ceci peut se faire par le travail et le sentiment de gagner sa vie honnêtement, ou bien de fonder un foyer. Mais un élément majeur essentiel est de tirer profit de leur propre expérience pour aider des jeunes à éviter la délinquance. Trois d’entre eux occupent d’ailleurs un emploi de conseiller ou de travailleur social, et onze autres sont bénévoles dans ce type d’activité ou espèrent devenir professionnels à plein temps. Dans ce type de situation, l’ancien déviant devient un « guérisseur blessé ». Il constitue un vivant exemple de la transformation possible. Face à lui, le délinquant peut se dire : « S’il a réussi à s’en sortir, je peux y arriver aussi ». Ainsi, un homme âgé de 30 ans déclare : Eh bien, au fond, j’en ai assez de la prison, et je sais ce qui s’y passe. Et je sais que beaucoup de jeunes ne voudraient pas y aller. Ils ont besoin d’être guidés. Et je sens que je peux le faire. Si, par exemple, j’ai dix garçons dans une pièce et que je peux éviter que l’un d’entre eux aille en prison, j’aurais fait un bon boulot, et c’est essentiellement ce que je veux essayer de faire. »
Maruna cite également l’exemple de Bill Sands, un ancien prisonnier qui, après sa sortie de prison, a mené une brillante carrière professionnelle, mais l’a finalement abandonnée pour aider d’autres anciens prisonniers à changer de vie (5).

QUAND UN MEMBRE DU KU-KLUX-KLAN DEVIENT MILITANT DES DROITS DE L’HOMME

Une histoire particulièrement impressionnante de désistance est celle de Larry Trapp, un homme d’une quarantaine d’années, néo-nazi, dirigeant local du Ku-Klux-Klan dans l’état du Nebraska (6). Il s’était forgé une solide réputation en passant ses journées à envoyer des courriers haineux pour terroriser les Noirs, les Juifs, et les membres d’autres communautés. Larry Trapp était bien connu des services de police car il fabriquait des explosifs chez lui et avait amassé de nombreuses armes à feu.
Une des cibles de Larry Trapp est la famille du rabbin Michael Weisser. Larry leur téléphonae en les menaçant par des propos tels que « Le KKK vous surveille ». M. Weisser a appelé L. Trapp en laissant des messages destinés à lui faire comprendre à quel point il était irrationnel de vouloir construire un monde sur la haine : « Larry, si un jour, vous êtes fatigué de haïr, tout un monde d’amour vous attend »
Les messages de la famille Weisser ont fini par toucher Larry. Il racontera plus tard : « Quand Michael a commencé à appelé ma hotline raciste, j’ai ressenti quelque chose dans sa voix que je n’avais jamais entendu avant… quelque chose que je n’avais encore jamais expérimenté. C’était l’amour ». Un jour, Larry téléphone aux Weisser en disant : « Je veux sortir de tout cela, mais je ne sais pas comment ». Michael lui propose de venir le voir ; après avoir beaucoup hésité, Larry accepte. Au cours de cette rencontre, il exprime à plusieurs reprises ses regrets du mal qu’il a occasionné, ainsi que son désir de se réconcilier avec les personnes qu’il a pu faire souffrir. Désignant les posters d’Hitler, les drapeaux nazis, les croix gammées, les documents de propagande du KKK et les fusils qui emplissent son appartement, il affirme : « Je veux me débarrasser de tous ces trucs de haine. Je veux sortir tout ce bazar de chez moi et de ma vie ».

Dans les mois qui suivent, Larry présente ses excuses à diverses personnes, rejoint une association de défense des droits de l’homme, fait des conférences, etc. Mais Larry est gravement diabétique et sa maladie empire au point qu’il va bientôt mourir. Julie et Michael décident de l’accueillir chez eux pour pouvoir mieux prendre soin de lui. Larry demande à Michael de lui enseigner l’hébreu et se convertit au judaïsme peu avant de mourir. La cérémonie d’introduction au sein de la communauté juive a lieu dans la synagogue qu’il avait menacé de faire exploser quelques années auparavant.
Larry Trapp et la famille Weisser

(1) Laub, J. H., & Sampson, R. J. (2003). Shared beginnings, divergent lives : Delinquent boys to age 70. Cambridge, MA : Harvard University Press, p. 86.

(2) Idem.

(3) Glueck, S. & Glueck, E. (1930). 500 Criminal Careers. New York, A.A. Knopf.

(4) (1) Laub, J. H., & Sampson, R. J. (2003), op. cit.

(5) Sands B. (1964). My shadow ran fast, Englewoods Cliffs, New Jersey, Prentice Hall.

(6) Watterson K. (1995). Not by the sword, How a cantor and his family transformed a Klansman, Boston, Northeastern University press.

Par Jacques Lecomte

Ce document peut être repris, partiellement ou intégralement, à condition d’en indiquer la source :
© Jacques Lecomte - http://www.psychologie-positive.net

Pour une description plus complète de la désistance, voir Lecomte J. (2012). Même les pires gangsters peuvent redevenir comme vous et moi, chapitre 5 de La bonté humaine, Paris, Odile Jacob.

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